Il me paraît assez bizarre de revenir sur ce blog après environ un an de silence !
Si je l'ai déserté ainsi, c'est avant tout parce que j'ai été pas mal occupée avec d'autres projets (comme mon blog photo ou mon webzine), et avec le cours de la vie, tout simplement. J'ai donc décidé de reprendre du service aujourd'hui pour parler d'une série, sortie sur HBO le 16 juin 2019 et qui est devenue une référence incontournable en l'espace de quelques mois — j'ai nommé Euphoria de Sam Levinson.
Si certains et certaines d'entre vous ne savent pas de quoi il s'agit, le résumé est assez simple. Euphoria relate l'histoire de Rue Bennett, une adolescente de 17 ans, fraichement sortie de cure de désintoxication. Le spectateur comprend rapidement que, si la jeune fille a été forcée de rester sobre pendant ces quelques mois de cure, elle n'a pas l'intention d'arrêter de consommer des drogues, en raison de l'anxiété et des TOC qui la rongent. Sa rencontre impromptue avec Jules, une nouvelle élève de son lycée et une adolescente trans, va avoir un impact considérable sur le cours de son existence. Le résumé d'Euphoria — qui est un remake de la mini-série israélienne homonyme, diffusée entre 2012 et 2013 — paraît assez sombre de prime abord, et la série l'est elle-même indéniablement, même si elle est initialement réservée aux adolescent-e-s. Si vous êtes à la recherche de quelque chose de comique ou de léger, passez votre chemin (dans ce cas-là, je vous conseille plutôt Au service de la France).
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© Euphoria, Sam Levinson, HBO, 2019 |
En visionnant les 8 épisodes d'une heure qui composent la première saison d'Euphoria, je me suis dit que cette série avait énormément de qualités. Elle possède avant tout une très grande force visuelle, notamment en raison de ses nombreuses scènes nocturnes. Les personnages sont semblables à des oiseaux de nuit, qui sillonnent la ville à vélo à la recherche de drogues, de sexe, de perte de conscience et d'amour parfois. La plupart d'entre eux transportent leurs émotions comme un fardeau, et tentent de les cacher comme ils le peuvent. Chaque épisode se concentre sur un personnage différent, même si Rue demeure une sorte de comète fixe dans cet univers déséquilibré. Elle assume à la fois le statut de personnage et de narratrice omnisciente, ce qui lui confère une grande force malgré sa fragilité et une relation plus forte avec le spectateur. Peu à peu, les membres de son entourage se délestent de la carapace qu'ils ont patiemment construite autour de leur corps et de leur esprit. (Cet aspect sera abordé directement lors du dernière épisode de la saison 1, avec le morceau "My body is a cage" d'Arcade Fire en fond sonore). Cette métamorphose, du papillon à la chenille, et non l'inverse, est très intéressante à suivre. La série est plutôt subtile lorsqu'elle aborde la psychologie des personnages, et se différencie de ses consoeurs (Gossip Girl et autres joyeusetés), comme avaient pu le faire Skins ou Misfits à une époque pas si lointaine.
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© Euphoria, Sam Levinson, HBO, 2019 |
Les intrigues d'Euphoria restent relativement classiques malgré tout, même si elles ont le mérite d'aborder frontalement les dérélictions et les joies de notre génération, notamment dans son rapport aux réseaux sociaux. Les personnages naviguent sans arrêt dans une mer d'images, que ce soit via YouPorn ou les applications de rencontre. Il leur arrive de tisser des liens virtuels avec des gens qu'ils n'ont jamais vus, voire même de tomber amoureux de ces derniers et de s'en trouver désenchanté-e-s par la suite. Les relations sociales sont pour eux un tissu de désillusions. Seule Rue met sa relation avec Jules au premier plan, et demeure ainsi le personnage le plus attachant de la série, avec son amie Lexi, qui a malheureusement tendance à être reléguée au second plan — tout comme Fez, le dealer qui ne tombe jamais dans la caricature.
Rue possède une forme de croyance infinie en cette magnifique jeune fille, qui a contribué à la sauver un peu. Elle se donne à elle sans protection mentale, ou presque.
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© Euphoria, Sam Levinson, HBO, 2019 |
La série possède quelques maladresses malgré tout — des longueurs, alors que l'on aurait aimé plus de concision à certains moments ou le manque de consistance de certains personnages par rapport à d'autres.
Par ailleurs, Euphoria propose un large spectre de personnages et de caractères différents. Elle ne se limite pas à un genre, ni à une orientation sexuelle — ce qui est extrêmement réconfortant — et l'on pourrait presque la qualifier "d'accueillante" pour cette même raison. J'ai également beaucoup apprécié le montage, extrêmement dynamique et original, avec quelques parti-pris osés de la part du créateur (on pense notamment à la toute dernière scène de l'épisode 8), mais qui fonctionnent très bien. Les nombreux flashbacks sont parfois redondants, mais ils contribuent à donner plus d'épaisseur aux personnages, en montrant notamment leur évolution depuis l'âge de 11 ans. Euphoria donne aussi un grand coup de pied aux codes habituellement réservés aux séries ados américaines : ici, les gens populaires du lycée ne sont pas les plus chanceux. Ils possèdent en eux une forme de violence sourde et insondable, comme c'est le cas pour Nate Jacobs, l'inquiétant footballeur qui en est à se taper la tête contre le sol de sa chambre parce qu'il ne sait plus comment se confronter à son père. Ils sont beaux et ils font pitié. Ils sont humains, et ça fait plaisir.
Difficile de clôturer cet article sans saluer la performance des acteurs et des actrices, qui livrent un travail fabuleux, notamment Zendaya, qui livre une performance incroyable dans le rôle de Rue. Hunter Schafer, la superbe interprète de Jules, est à mi-chemin entre une force increvable et une fragilité à fleur de peau — ces deux aspects de son caractère se manifestent par des make-ups qui méritent d'être mentionnés, parce qu'ils sont très beaux et originaux. J'ai un peu moins apprécié la BO de la série — dans laquelle on retrouve, entre autres, Rosalia, DMX, Anderson .Paak ou Madonna — tout simplement parce que ce n'est pas du tout mon style de musique. Néanmoins, certains morceaux se marient très bien avec les ambiances nocturnes bleues ou les fêtes qui n'en finissent jamais. Quand on y pense, l'atmosphère d'Euphoria peut évoquer celle de Donnie Darko de Richard Kelly, probablement parce qu'il s'agit dans les deux cas d'une sorte de fantasmagorie du réel, où l'adolescence réinvente le monde, pour le meilleur et pour le pire.
Parenthèse musicale finale : pour celles et ceux qui sont intéressé-e-s, j'ai également fait une mini playlist Spotify composée de 15 morceaux qui me rappelaient l'atmosphère de la série !